Manifeste RTF 2023 - Agen

Manifeste des XII RTF 2023 en Lot-et-Garonne

Sous le titre “UNE MÉMOIRE DÉMOCRATIQUE POUR UNE DÉMOCRATIE EN DANGER”, nous publions ci-dessous le texte définitif. Il est issu de la mise à jour, à l’Hôtel du Département d’Agen, du Manifeste des associations participantes aux RTF de Villeneuve-sur-Lot, Le Temple-sur-Lot et Agen les 29-30 septembre et 1er octobre 2023.

UNE MÉMOIRE DÉMOCRATIQUE POUR UNE DÉMOCRATIE EN DANGER

Le manifeste adopté à l’occasion des XIeRencontres Transfrontalières des Associations de mémoire historique, démocratique et antifascistese terminait sur l’engagement des participants aux groupes de travail à « agir au sein des sociétés dans lesquelles elles vivent et se développent » car “elles ne peuvent ni ne doivent rester silencieuses face à la dégradation de la démocratie dans leurs pays (tant en France qu’en Espagne) et dans le monde.” En ce sens, le manifeste souligne que la mémoire démocratique est « le vaccin qui immunisera notre société d’aujourd’hui contre le virus de la haine dont l’extrême droite a besoin pour grandir et triompher ».

En France les groupes d’extrême droite et nazis n’hésitent plus à se montrer, diffusent de la propagande antisémite et tentent de profaner les camps comme ce fut le cas pour le camp de Gurs.  L’intervention de la gendarmerie a permis d’éviter la profanation. Les mesures adoptées par le gouvernement Macron affectent les couches les plus pauvres du pays y compris les classes moyennes ou la jeunesse étudiante, dont une grande partie est contrainte d’abandonner ses études ou, comme le démontrent les statistiques, doit se limiter à un seul repas par jour en raison de l’inflation (46 %). Tout cela constitue désormais un terreau favorable à la réception du discours de Marine Le Pen qui, avec 89 sièges sur les 577 que compte l’Assemblée Nationale, s’affiche comme la seule personnalité capable de battre Emmanuel Macron aux élections pour la Présidence de la République de 2027. Cependant, alors qu’à l’intérieur elle adopte un discours trompeur et se présente comme une force respectable, modérée et au profil social, (sur la base cependant d’un État providence réservé aux seuls nationaux du pays) dans le but de susciter et de recueillir le vote des secteurs les moins politisés, habituellement abstentionnistes, à l’extérieur, au contraire, pour les élections au Parlement européen prévues en 2024, elle montre son vrai visage et cherche des alliances avec d’autres forces de l’extrême droite européenne telles la Ligue de Salvini dont elle partage le même discours xénophobe, raciste et anti-immigrés.

Parallèlement l’extrême droite prend le contrôle de publications et de médias audiovisuels et y installe des journalistes affidés chargés de vulgariser sa propagande révisionniste dans le but de neutraliser l’antifascisme.

L’Espagne, de son côté, si elle a enregistré quelques nouvelles positives avec un rapport du parquet favorable à l’admission de la plainte déposée par Carles Vallejo à la suite des tortures subies lors de sa détention au début des années 70, ou avec la première audition de Julio Pacheco par un juge sur les tortures dont il a été victime en 1975 après son arrestation par la police secrète de Franco, a vu malheureusement s’affirmer une forte présence électorale de l’extrême droite.

Et, ce qui est bien pire, l’extrême droite a réussi à contaminer une partie de la société avec son discours de haine et d’exclusion et à amener d’autres formations comme le P.P à calquer leur agenda et leurs propositions sur les siens jusqu’à s’associer à VOX pour gouverner de nombreuses communautés autonomes.

Heureusement, la mobilisation de la gauche lors des élections générales de juillet a empêché, au moins pour l’instant, qu’ils puissent gouverner ensemble le pays. Ils ont conclu des accords prévoyant des mesures, développées avant et après les élections, qui, en plus de vouloir restreindre les droits fondamentaux des femmes, nient la diversité sexuelle, favorisent les plus riches et les plus puissants à travers une politique fiscale qui réduit (et parfois élimine) les impôts qui taxent la richesse. Ils veulent récupérer ce qu’ils considèrent comme l’essence de l’hispanité. Ils veulent en finir avec la Mémoire Démocratique en abrogeant les lois promulguées en ce domaine ou en les laissant sans application, tout en prônant un discours qu’ils fondent sur ce qu’ils appellent la concorde et la réconciliation, mais qui n’est rien d’autre que l’oubli et le silence.

La Mémoire Démocratique ne peut être tributaire du gouvernement en place. Elle constitue un axe central de l’État lui-même, pour autant qu’il soit défini comme démocratique. Les politiques de mémoire publique sont une obligation dont le respect ne peut dépendre de la volonté de gouvernants car elles constituent une partie inaltérable de l’héritage démocratique de la société. L’élimination de la mémoire démocratique sape les fondations sur lesquelles l’État démocratique s’est construit et se soutient. Il ne s’agit pas, comme le prétend à tort la droite espagnole, d’imposer un récit historique partisan mais de transmettre une série de valeurs démocratiques apprises de nos expériences en tant que société et qui doivent être communes aux citoyens car elles constituent le noyau de la conscience démocratique nécessaire à la construction de celle-ci. En définitive, il s’agit de récupérer, réhabiliter et reconnaître le patrimoine commun et universel de tous ceux qui ont lutté pour la démocratie dans le passé.

Pour cette raison, au moment où la démocratie est menacée, la protéger implique de revendiquer la Mémoire Démocratique et, par conséquent, de défendre les groupes et les entités qui se consacrent à sa promotion et à sa diffusion. Ces derniers sont devenus des ennemis à abattre car, tant qu’ils résistent, l’extrême droite ne pourra imposer sa vision sociale et politique d’exclusion absolue. Notre rôle revêt par conséquent une importance particulière et, comme nous l’avons vu tout au long de ces XIIe Rencontres Transfrontalières des associations de mémoire historique, démocratique et antifasciste organisées à Villeneuve-sur-Lot (France), nous devons mettre en place une grande diversité d’ actions et propositions pour faire face au défi qui nous est posé, ce qui nécessite également que nous nous dotions des outils et des instruments qui nous permettent de toucher le plus grand nombre possible de nos concitoyens.

Comme l’a déclaré Enzo Traverso, qui a inauguré ces XIIe Rencontres, « nous sommes au milieu d’un processus de transition dont les résultats sont encore inconnus et ouverts soit à un New Deal du XXIe siècle, capable d’affronter le changement climatique et d’inverser les transformations produites par quarante ans de néolibéralisme soit à un virage à l’extrême droite qui jettera notre planète dans la catastrophe annoncée. Dans le contexte actuel, les deux résultats sont parfaitement possibles ».

C’est la raison pour laquelle les associations de mémoire et chacune des personnes qui s’y impliquent activement, constituent un barrage défensif contre cette marée noire et pestilentielle de haine et d’exclusion.

Mais nous devons aussi être des agents actifs dans la bataille pour l’hégémonie culturelle en opposant à sa conception du monde un modèle de société dans lequel les valeurs propres à notre Mémoire Démocratique assurent la liberté et la coexistence pacifique de tous ses membres. Car une société n’est démocratique que si elle garantit les droits fondamentaux de chacune des personnes qui la composent.

Cela étant dit, nous entendons affirmer :

PREMIÈREMENT : En matière éducative, il est essentiel de souligner les aspects positifs du changement de cadre légal qui oblige désormais à « la connaissance de l’histoire et de la mémoire démocratique espagnole et de la lutte pour les valeurs et libertés démocratiques », même si cela peut être affecté par la charge de travail administratif importante du personnel enseignant et des ratios par classe très élevés. Quoi qu’il en soit, l’étude de l’Histoire doit sans aucun doute se relier aux principes de vérité, de justice, de réparation et de garantie de non-répétition.

Pour y parvenir, la présence des entités et associations mémorielles est essentielle ainsi que la nécessité d’incorporer d’autres acteurs de la communauté éducative comme les associations familiales. Et cela non seulement dans les écoles publiques, ce qui est notre engagement sans équivoque, mais aussi en essayant d’atteindre les élèves des écoles sous contrat et privées tant qu’elles existeront.

D’autre part, nous devons nous intégrer aux réseaux académiques et chercher à les étendre au niveau transfrontalier, mais avec la volonté de favoriser les échanges, dans un dialogue enrichissant et permanent, afin que la contribution des entités et associations mémorielles soit effective et assure leur participation active à la tâche cruciale de l’éducation.

Mais la mémoire n’est éloignée ni du présent ni du futur et il ne faut donc pas oublier de lier l’apprentissage de l’Histoire et de la mémoire aux débats actuels sur les luttes des femmes, les droits sexuels, l’immigration, les réfugiés ou autres.

Concernant la terminologie utilisée, le débat lexical est ouvert et questionne l’utilisation du terme « guerre civile » qui ne reflète pas pleinement ce qui s’est passé en Espagne (persécutions politiques, répression et extermination). La terminologie « guerre civile ne prend pas en compte le contexte que fut le conflit contre le fascisme, prélude à la Seconde Guerre mondiale.

Enfin, la formation des enseignants universitaires doit inclure la Mémoire Démocratique dans ses programmes, comme cela se fait déjà, par exemple, en Navarre.

DEUXIÈMEMENT : Concernant l’actuelle loi 20/2022 du 19 octobre sur la Mémoire Démocratique, nous reconnaissons qu’elle contient des avancées importantes même s’il y a aussi certains aspects qui pourraient être améliorés.

Mais il est évident qu’elle va au-delà de la loi de 2007, en intégrant des éléments fondamentaux comme, par exemple, la condamnation affirmée du coup d’État ou la déclaration d’illégalité du régime franquiste. Cependant, nous sommes préoccupés par le retard opéré dans la mise en œuvre des nombreuses propositions contenues dans ce texte qui sont dans l’attente de l’approbation de la norme réglementaire correspondante. En effet, à l’heure actuelle, aucun texte réglementaire n’a été promulgué et le seul projet de texte qui avait été élaboré se trouve suspendu en raison des échéances électorales. Cela signifie qu’un non-respect des délais peut survenir générant des situations indésirables ou une perte de droits. Il est essentiel, en ce sens, de mettre en place un cadre institutionnel qui garantisse le respect des dispositions légales, afin que la loi ne se cantonne pas à être purement déclarative mais permette réellement de mener à bien des politiques et des actions concrètes sur lesquelles il ne soit pas possible de revenir ensuite.

Pour mettre en exergue cette problématique, il est proposé d’adresser aux forces politiques avec représentation institutionnelle un modèle de motion à approuver dans l’institution correspondante dans laquelle il est demandé le respect et le développement de la Loi dans tous ses aspects.

En outre, il est proposé que les associations et entités de mémoire, tant françaises qu’espagnoles, signent une demande d’inscription au Registre des entités prévu à l’article 59 de la loi, dont l’élaboration réglementaire est encore en attente, afin qu’elle serve de moyen de pression sur le gouvernement pour qu’il prenne les dispositions réglementaires adéquates et installe le Conseil de la Mémoire Démocratique.

Enfin, un appel est formé contre le risque de privatisation et de marchandisation de la mémoire, qui en ferait un business lucratif au lieu d’un outil de sensibilisation. En ce sens, l’État doit prévoir les mécanismes juridiques appropriés pour garantir que l’objectif prévu par la Loi de Mémoire soit atteint, en s’appuyant dans cette tâche sur les associations mémorielles.

TROISIÈMEMENT : Il est nécessaire que le travail des entités et associations mémorielles, avec toutes les ressources qu’elles ont pu générer, les documents qu’elles ont produits, ainsi que les expériences qui ont façonné leurs actions (travail avec les écoles, les ciné-clubs, les expositions, etc.), soit rendu public et valorisé. Pour ce faire, il est proposé de partager mutuellement tout ce bagage au travers d’une base de données dans laquelle seront répertoriés matériels, expositions, ressources pédagogiques… qui pourront ensuite être utilisés non seulement par les différentes associations, mais aussi par d’autres types de publics : chercheurs, membres de la famille, etc., afin de générer des dynamiques permettant la transmission efficace de la mémoire et l’incorporation de nouveaux membres. Ainsi, un groupe de travail permanent est créé afin de faire avancer le développement de la plateforme télématique qui sert d’outil pour réaliser cet objectif, en évaluant notamment comment assurer la conservation à long terme de ce matériel (transfert aux archives, numérisation …).

QUATRIÈMEMENT : Nous devons intégrer et reconnaître la trajectoire et la mémoire du féminisme tout au long du XXe siècle, dans sa lutte pour les valeurs démocratiques et l’égalité, d’autant plus maintenant que ses acquis et ses conquêtes sont en danger, menacés par les discours et les pratiques de l’extrême droite, suivis par ceux de la droite traditionnelle.

En outre, la montée de la violence contre les femmes nous oblige à chercher des solutions, en analysant, comme cela a été fait lors de ces XIIe Rencontres, la construction de politiques d’égalité et de luttes contre la violence de genre en France et en Espagne, et les risques actuels de régression. Le déni des violences sexistes ou la montée des violences sexuelles sont des réalités qui deviennent aussi des champs de bataille pour les entités mémorielles et les associations.

La fin de ces XIIe Rencontres Transfrontalières des associations de mémoire historique, démocratique et antifasciste coïncide avec le début d’une nouvelle période de défense d’une démocratie que l’extrême droite assiège et cherche à remplacer par un monde de rejet et d’exclusion dans lequel prédomineraient l’autoritarisme, le déni et le suprématisme. C’est la raison pour laquelle les associations mémorielles et leurs membres renouvellent, ici et maintenant, leur engagement en faveur de la Mémoire Démocratique et, avec elle, leur engagement sans équivoque en faveur de la tolérance, du respect et de l’inclusion de tous dans notre idéal d’un monde meilleur, authentiquement libre, égalitaire et fraternel, c’est-à-dire antifasciste.

Agen le 1er octobre 2023.

ENTITÉS SIGNATAIRES :

AFFNA 36, Ay Carmela, Brigadas Internacionales de Catalunya, Associacio Catalana Ex presos Politics del Franquisme, Caminar, Fundación 14 de abril, La Barranca, MER 47, MER 64, TML, Txinparta RMC, Instituto Navarro de la Memoria, Circulo Republicano Huesca, Amarres (Association Mémorielle Auvergnate Réfugiés Républicains Espagnols), MHRE 89, Asociación de Memoria Histórica “Los Barracones”, M.R.A.S.T (Mémoire Résistance en Ariège – Solidarité Transfrontalière), Fundación Domingo Malagón, Asociación Sobrarbense la Bolsa, Ateneu de Memoria Popular.

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