Jean Ortiz

Genèse du « tiers » de rue des Républicains Espagnols par Jean ORTIZ

Pau a enfin sa rue des Républicains espagnols

Ouf !!!

Il était temps. Pau a enfin sa « rue des Républicains espagnols en Béarn ». Pourquoi « en Béarn » ? Pourquoi cette restriction ? L’Espagne n’est pas loin… Qui plus est, la mémoire de la MOI, des guerrilleros, est majoritairement communiste. Mais à leurs côtés, à Pau, et en Béarn, participèrent à l’antifascisme des groupes d’anarchistes et de socialistes « unitaires ». Les déchirures entre mouvances furent graves, moins ici sans doute qu’ailleurs (quasiment tous étaient d’origine aragonaise), mais ils prônaient tous « la revolución ». 

Pau a enfin sa rue républicaine espagnole… Il a fallu ramer longtemps, une poignée de militants de la mémoire, une association MER opiniâtre, jusqu’à ce que l’idée devienne, chez les palois, une « force matérielle » ; l’opinion publique, gagnée à cette idée, fit basculer François Bayrou et le Conseil municipal. Mais on ne peut demander aux pommiers de produire des poires… François Bayrou, sans doute sous diverses pressions et soucieux de ne pas indisposer Madrid, rétrécit l’hommage, en ajoutant deux mots qui nous semblent restrictifs : « en Béarn », et en n’accordant aux Républicains qu’un tiers d’une rue déjà existante, celle du Comte de Guiche.

Nous, les amis de l’Espagne républicaine, l’association MER, voulions que la rue des Républicains parte ou arrive au Hédas, cette « petite Espagne », ce quartier de la MOI (Main d’Œuvre Immigrée) des premiers guerrilleros, ce quartier d’où partirent un groupe de rouges espagnols pour peindre des inscriptions antifascistes sur les murs du vieux PAU, avant la visite du Maréchal Pétain, le 20 avril 1941. 

Ce quartier communautaire pâtissait d’une réputation de « ghetto », il abritait ce que d’aucuns appelaient la « côte des malfaisants » (côte de la Fontaine). Un quartier fermé par la géographie urbaine et la discrimination sociale. Son aspect en pente rude et labyrinthique permettait cependant d’échapper à la police. La communauté espagnole en avait fait un havre de solidarité et de résistance. 

La seule rue possible au Hédas était donc la rue d’un comte peu progressiste, du XVIIe siècle, (et qui apparaitrait dans « Cyrano de Bergerac »), le Comte de Guiche. On aurait pu le renvoyer à son comté. Mais nous avons préféré engranger les acquis, un bout de rue ; un « troç » en occitan. Les rapports de force sont ce qu’ils sont. La majorité des élus et François Bayrou décidèrent donc, avec notre accord, d’attribuer aux Républicains un tiers de la rue de Guiche. Avec pose de plaque. C’est peu, mais ce qui compte pour les fils, filles, petit-fils et petites-filles, c’est que dans la situation créée, le moindre arpent relève du symbole. Il s’agit bel et bien d’une « petite victoire », contre l’oubli. Un oubli qui peut être une forme de légitimation. En réalité, il n’y a pas de petite victoire. Dans les conditions paloises, nous n’étions pas dupes, mais nous avons accepté, priorisant le symbole, et compte tenu de l’état de l’opinion publique, très sensible, sur la question de la reconnaissance de l’apport multiple des Républicains espagnols.

Chacun pourra juger que les enjeux de mémoire sont des enjeux politiques d’actualité. La défaite d’alors fut un choix de classe des élites dominantes, une revanche sociale sur 1931 et février 1936 (Front populaire espagnol). 

En écoutant les interventions de Claudine Bonhomme, présidente de MER, et de José Garcia, vice-président de CAMINAR, et d’autres, des impressions étranges d’actualité affleuraient. Par exemple, la chasse de Daladier aux « mauvais étrangers » ; les camps dits de « concentration » ; l’infâme accueil des nôtres par la IIIe République, sous le statut d’ « indésirables ». Nous ne sommes pas loin des débats et conflits actuels sur l’immigration, les migrants. L’attitude, grosso modo, des mêmes contre les mêmes.

 Tous ces thèmes exigent de politiser la commémoration et le devoir de mémoire. Les rituels commémoratifs sont le plus souvent vides de contenu et peuvent, malgré toutes les bonnes intentions du monde, éliminer la mémoire populaire, la neutraliser. Par exemple, les guerrilleros ne combattirent pas « pour la France », mais par internationalisme, pour une patrie d’idéal.

Autre exemple, l’insupportable révisionnisme qui consiste à renvoyer dos-à-dos Républicains et fascistes, à brandir la thèse de l’équidistance, alors que 130 000 disparus, fusillés par les franquistes, sont encore ensevelis dans d’anonymes fosses communes.

 Je crois finalement qu’être issu de l’exil républicain, et être Républicain, cela se gagne, en prolongeant aujourd’hui les combats libérateurs d’hier, en luttant pour l’avènement d’une IIIe République en Espagne, sociale, fédérale, anticapitaliste, en rejetant une monarchie illégitime, n’en déplaise à Sa Majesté, à la hiérarchie de l’Eglise, à la plupart des généraux, des grandes institutions, à la banque, au néo-franquiste Parti populaire… Il n’y a eu aucun référendum pour que les Espagnols puissent décider entre République et monarchie.  

José, vice-président de CAMINAR, insista dans son intervention sur les enjeux de mémoire, nos parents, dit-il, n’étaient pas la « canaille rouge » , mais des combattants de la Liberté et des antifascistes. « La Mémoire républicaine qui semblait n’être qu’un droit est devenue une bataille ». Les associations mémorielles ont marqué et marquent des points, notamment sur l’affaire du « Valle de los Caídos ».

Claudine, la présidente de MER, décrit la situation en 1931 en Espagne, et l’immense espoir populaire que souleva la proclamation de la IIe République le 14 avril 1931.

Elle souligna qu’ « à ce peuple inféodé aux grands propriétaires terriens, au patronat et à l’Église, la République apportait l’école et la santé pour tous, un code du travail avec des droits nouveaux, la possibilité pour les femmes de faire des études et de travailler, le droit de vote pour elles ainsi que le droit à l’avortement. » Des avancées considérables pour l’époque.

François Bayrou dévoila la plaque, après un discours sobre mais empathique. A Pau, on a l’habitude du politicien caméléonesque.

Nous retiendrons que les plus de 200 personnes présentes, de tous âges, de toutes générations, entonnèrent des chants républicains avec une émotion et une joie sincères, profondes, et des convictions à décoiffer le Pic du Midi d’Ossau. 

Jean ORTIZ
Fils de Républicain et Guérillero Espagnol
Maître de Conférences Honoraire de l’Université de Pau

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