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Afrique du Nord – La déportation oubliée

En mars 1941, 1 500 « indésirables » étrangers (espagnols, brigadistes internationaux, juifs…) et 500 « indésirables » français (syndicalistes, communistes…), précédemment détenus dans des camps en métropole, ont été déportés vers l’Afrique du Nord.

Vichy s’appuie sur la législation discriminatoire de la IIIe République

Pour y parvenir, le régime de Vichy s’est servi de l’arsenal réglementaire édicté par le gouvernement Daladier :

  • Le décret du 12 novembre 1938 qui a permis la détention des étrangers ;
  • La liste « S » des suspects de menées antinationales, créé à l’automne 1939.
Plaque commémorative

Embarqués à Port-Vendres à destination de l’Afrique du Nord, dans les cales des cargos spécialisés dans des transports de moutons, ils se trouvent envoyés dans les camps de Djelfa, le pénitencier de La Redoute ou la forteresse de Djeniene Bourezg. Par la suite, nombre d’entre eux s’engagèrent dans la 2ème DB et furent regroupés dans le régiment de marche du Tchad, qui participa à la Libération de Paris.

Le 26 septembre 2021 à Port-Vendres, un hommage a été rendu à ces déportés antifascistes étrangers et français en Algérie. A l’invitation de Georges Sentis – intervenant aux journées de Caminar à Toulouse en octobre 2019 – notre ami Serge Barba y a représenté notre coordination.

Le camp de Djeniene Bourezg

Le camp de Djeniene Bourezg est une forteresse destinée à recevoir les « fortes têtes ». Parmi eux, figurent des Espagnols partis de Valence, ainsi que des « indésirables » algériens (pieds-noirs communistes, indigènes juifs et musulmans). Les détenus sont livrés à la cruauté des chefs de camp. Le quotidien d’un détenu est l’humiliation, les corvées épuisantes, la privation de soins, la nourriture insuffisante et de très mauvaise qualité, sans parler de l’absence totale d’hygiène. Dans chaque camp d’Afrique du Nord, les morts se comptent par dizaines.

Le camp de Djelfa

Les conditions de vie dans ce camp, construit par les détenus, sont là aussi épouvantables. Situé dans le désert algérien, les prisonniers sont hébergés sous des tentes envahies par les scorpions et la vermine. Mal nourris et bénéficiant de conditions sanitaires déplorables, ils succombent par centaines. Parmi les prisonniers du camp, se trouve le poète Républicain espagnol Max Aub. Il est le témoin des atrocités commises par les autorités vichystes. Dans El Diario de Djelfa, il écrit un superbe sonnet intitulé Roedores de huesos (Rongeurs d’os). Ce poème allégorique décrit la vision dantesque de prisonniers morts-vivants, hagards et morts de faim qui se traînent dans une déchéance inhumaine :

«LOS ROEDORES DE HUESOS
En hoyancas, al cielo siempre abiertas,
Del cocinar inmundos vertederos,
Mondo amontijo, y amarillos ceros,
Carcavinan camellos; huesas yertas.
Mantas por todas vestiduras tuertas
Los jamerdados, esqueleto en cueros,
Uñas y dientes, únicos aperos,
Acurrucados roen cales muertas.
Hambre a muerte rayendo, el mundo espejan
Que a esto les trajo. Pues, gusanos, yedras,
Hieden pardos royendo sus entrañas.
Mordiendo sus carcomas, jugo en sañas,
De hombres a hienas, miserables, cejan.
No reconcomen tierra, sino piedras
25-12-41.»

Vous pouvez consulter une documentation iconographique de la création du camp sur cette page web.

La transsaharienne, un vieux rêve colonial français

Le projet « Méditerranée-Niger »

Sous la IIIe République

Le projet de construction d’une ligne entre L’Algérie et le Niger est déjà présent dans le plan Freycinet de 1878. Mais il faut attendre 1928 pour que le tracé soit définitivement établi. Il s’agit de relier les côtes d’Afrique du Nord à celles de l’Afrique de l’Ouest, plus particulièrement Alger à Dakar. Le chantier envisagé est colossal : il prévoit la construction d’une liaison ferroviaire de 3 000 kilomètres en plein désert. Quel est l’intérêt d’un tel ouvrage ? Les objectifs sont multiples : en plus du transport de troupes, il permettrait la circulation des marchandises et du charbon extrait des mines Sud-Oranaises, découvertes au début du XXe siècle. A cela, s’ajoute un projet de création de cotonnières en Afrique de l’Ouest grâce à l’irrigation à partir du fleuve Niger, le tout pour s’affranchir d’un possible blocus maritime par les Britanniques. Le plan de construction est divisé en trois tronçons : la construction d’un axe Oran-Gao sur le fleuve Niger ; un deuxième axe de Gao à Bamako, et un troisième qui conduirait la voie ferrée à Dakar.

La crise économique de 1929 stoppe net la mise en route de ce projet pharaonique. A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, l’armée française ressort des cartons ce dossier au prétexte qu’il permettrait d’acheminer plus rapidement les troupes d’Afrique noire vers la métropole.

Trois mois après la déclaration de guerre à l’Allemagne, le 1er septembre 1939, le gouvernement de la IIIe République, décide de raccorder par fer les mines de charbon du Sud-Oranais au réseau marocain. Il envoie environ 2 000 Républicains espagnols et Brigadistes internationaux pour réaliser les travaux. Ils sont regroupés en Compagnies de Travailleurs Etrangers (CTE), Le militant de la CNT, Conrado Lizcano témoigne des conditions de vie dans la zone de Colomb-Béchar :

« Notre nouvelle “profession” ce fut le pic, la pelle et la pioche. On nous envoya à quatre kilomètres de l’oasis pour enlever le sable d’une énorme dune pétrifiée de plus de 2 000 mètres de longueur. La température était étouffante, plus de 40° à l’ombre et l’eau rare et chaude. C’est là qu’ont commencé les dysenteries, les crises de paludisme, les vomissements et les forts maux de tête. (…) Notre campement moitié militaire et moitié ouvrier, consistait en trois douzaines de tentes Marabouts sous le soleil ardent, entourées par les sables, les pierres, les vipères et les tarentules. Plusieurs camarades furent piqués par ces énormes araignées dont le venin occasionnait de grosses enflures et de fortes douleurs. »

Construction de la voie ferrée à Colomb-Béchar

Sous Vichy

Après la signature de l’armistice de juin 1940, l’armée défend la poursuite du projet en le présentant comme un élément de prestige impérial. Pour sa part, Vichy est convaincu qu’il s’agit d’un puissant levier dans le cadre de la collaboration avec l’Allemagne. Le 22 mars 1941, Pétain signe la loi officialisant la construction de la ligne vers les mines de charbon.

Techniquement, Vichy ne possède pas les moyens matériels nécessaires à la réalisation de la ligne. Il va faire appel à du matériel … américain. Les moyens humains ne sont pas suffisants, eux-aussi, car les conditions climatiques sont telles que les machines tombent souvent en panne, alors la main-d’œuvre s’avère indispensable pour effectuer les travaux manuellement. C’est ainsi que le Méditerranée-Niger hérite des ouvriers des CTE entre temps transformées en Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE). Comme les besoins en hommes sont énormes, Vichy complète avec les prisonniers des camps de concentration situés en France. A partir de mars 1941, plusieurs vagues de déportation de la métropole sont acheminés vers les chantiers du Transsaharien. Cette déportation est une aubaine pour Vichy car Il la justifie dans les termes suivants : « le Transsaharien représente une occasion unique d’éliminer de France une main-d’œuvre en excédent de besoins » et de plus c’est l’occasion d’utiliser les Espagnols dans les camps spéciaux.

Début 1941, les effectifs sont de mille étrangers engagés pour la durée de la guerre, de deux mille travailleurs espagnols appartenant aux GTE et de deux mille travailleurs nord-africains.

Aux conditions de travail insupportables décrites par Conrado Lizcano, il faut ajouter l’attitude impardonnable de l’encadrement militaire à l’égard des Républicains espagnols. Innombrables sont les violences gratuites à l’encontre des travailleurs espagnols, entraînant parfois la mort.

Après le débarquement allié de novembre 1942, les travailleurs retrouvent le statut qui était le leur en avril 1939. Les nouvelles autorités leur proposent de rester sur le chantier avec ce statut ou de partir pour le Mexique, Peu d’entre eux font le choix de l’exil au Mexique et restent dans le camp. Au début 1943, il reste encore près de 1 000 Républicains espagnols et Brigadistes internationaux. Ils touchent un salaire et vivent dans des conditions plus acceptables après avoir vécu l’enfer. Le reste des internés a fait le choix de rejoindre les Forces Françaises Libres (500 Espagnols sont enrôlés dans le IIe DB de Leclerc et en 1944, entreront les premiers dans Paris occupé) ou les usines d’armement. Quant au Méditerranée-Niger son arrêt de mort est signé en 1949 par le gouvernement de la VIe République.

1 réflexion sur “Afrique du Nord – La déportation oubliée”

  1. Le livre La Nueve de Evelyn Mesquita, édité en 2008, avec un avant-propos de Jorge Semprun, rappelle les conditions dramatiques de ces Républicains Espagnols internés dans des camps de concentration d’Afrique du Nord, et l’épopée glorieuse des combattants de La Nueve.

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