ÉGLISE CATHOLIQUE ET MÉMOIRE – RENCONTRES TRANSFRONTALIÈRES DE LOGROÑO – 2004

ÉGLISE CATHOLIQUE ET MÉMOIRE – RENCONTRES TRANSFRONTALIÈRES DE LOGROÑO – 2004

GROUPE IV : ÉGLISE CATHOLIQUE ET MÉMOIRE, QUAND TOUT DÉPEND DE QUI SE SOUVIENT : ESPRIT DE RÉCONCILIATION DEVANT LA RÉSURGENCE ARTIFICIELLE DES DEUX ESPAGNES

« L’Église catholique et la Mémoire » est le groupe créé à l’occasion des rencontres de Logroño. Voici les huit réflexions issues des travaux de ce groupe.

Première réflexion

Il s’avère faux de parler de « persécution religieuse républicaine ». Il n’y avait pas d’objectif antireligieux clair et générique des autorités républicaines, malgré la propagande de la littérature martyre.

Ce qui s’est produit entre 1931 et le milieu de 1936 était un choc culturel entre deux modèles d’identité, se disputant le concept de citoyenneté, représentés respectivement par ce que Rafael Cruz appelle la « communauté populaire » contre le « peuple catholique ».

La thèse de la persécution peut être admise dans un sens instrumental, limité dans le temps (la guerre d’Espagne), dans l’espace (certains secteurs de l’arrière-garde républicaine plus que d’autres) et chez ses promoteurs (les comités de défense ou de liaison). Il est compréhensible que ceux qui ont subi l’offensive laïque, non exempte d’excès anticléricaux, se considèrent persécutés depuis la proclamation de la République et que les violences révolutionnaires de 1936 soient venues le corroborer. Mais aborder un sujet comme celui-ci d’un point de vue strictement académique nécessite de le faire avec des outils scientifiques.

Comme l’a montré Julio de la Cueva, le cas espagnol n’est pas si exceptionnel en termes de répertoires d’action déployés par les anticléricaux ou en ce qui concerne l’usage politique de la religion dans une guerre civile. Sa spécificité réside dans le nombre énorme (et concentré en quelques mois) de victimes dans le cas espagnol ; d’autant plus que, contrairement à la révolution russe ou mexicaine, la violence dans la révolution espagnole n’était pas de la responsabilité du pouvoir d’État, mais de celle de son affaiblissement.

Une autre différence et pas la moindre : alors que certains mouraient pour la croix, dans l’autre moitié de l’Espagne, on tuait en son nom.

Deuxième réflexion

L’Église espagnole promeut sa propre Mémoire historique à travers les béatifications, qui ont vocation à démontrer qu’elle a été l’objet de persécutions depuis la proclamation de la Deuxième République (1931) et, avec une virulence particulière, à partir de 1936.

Les victimes de ces persécutions le sont, selon elle, uniquement à cause de leur foi et, par conséquent, sa Mémoire est non seulement un témoignage de foi, un exemple utile à la perpétuation de son message et à sa propre existence, mais conduit en outre, à un esprit de réconciliation.

En même temps, elle dénonce la Mémoire historique revendiquée par d’importants secteurs sociaux, les revendications véhiculées par les associations mémorielles et soutenues par certaines administrations publiques, en les considérant comme vengeresses et revanchardes, générant la haine et, par conséquent, un danger pour l’unité sociale et, par extension nationale (cela fait ressurgir les deux Espagnes). Par conséquent elle incite aussi bien à se souvenir (pour les siens) qu’à oublier (pour ceux qui ne le sont pas), en établissant un récit qui, sous une optique prétendument religieuse, accueille en réalité sans aucun esprit critique la Mémoire des vainqueurs, sans aucun égard pour les vaincus.

Elle omet bien sûr de s’excuser pour ses actes des années 1931-1939 qui furent, selon elle, une réaction contre la persécution déclenchée contre une institution et ses membres absolument innocents (puisque, selon son récit, ils n’ont pas eu de passé ou, dans le cas de l’Institution, c’est comme si elle n’existait pas auparavant). En conséquence, la critique épiscopale de la Mémoire historique s’inscrit dans sa stratégie visant à influencer et conditionner la société dans son ensemble. En fin de compte, c’est une façon de faire de la politique. Par conséquent, lorsqu’elle critique la Mémoire historique, l’Église fait de la politique.

Elle trace un chemin qui mène, comme cela s’est manifesté dans les communautés gouvernées par le PP et VOX, à la dérogation aux lois de Mémoire des communautés autonomes jugées comme sectaires, en les remplaçant par de supposés plans de concorde (appellation très appréciée des évêques).

Troisième réflexion

Contrairement à l’attitude de l’Église espagnole, l’Église française a su, au moins, faire preuve de repentance, même s’il faut nuancer : sa déclaration concerne un aspect très concret et difficile à éluder en raison de son impact mondial : l’Holocauste.

Celui-ci est configuré comme un domaine de Mémoire universelle qui génère un sentiment de culpabilité et de rejet auquel pratiquement personne, pas même l’Église, ne peut échapper. Cependant, la collaboration avec le régime de Vichy n’a pas été abordée de la même manière alors que l’Église a été l’un de ses soutiens.

Quatrième réflexion

Dans les deux cas, l’Église elle-même tente de se déployer sur deux plans qu’elle présente comme différents et différenciés : l’un, de portée spirituelle, et l’autre, de nature politique. Ainsi, dans le premier cas, elle se présente comme victime d’une persécution (ou d’une persécution probable, comme dans le cas de l’Holocauste), dont on se souvient et que l’on célèbre constamment. Cet aspect est détaché de son activité séculière pour ainsi dire incarnée dans la sphère politique, dans laquelle elle agit comme un État souverain qui signe des accords internationaux (concordats) et est soumis à des droits et des obligations. L’Église joue constamment avec les deux pour échapper à ses responsabilités dans un domaine comme dans l’autre.

Cinquième réflexion

La Mémoire historique de l’Église doit également faire partie de la Mémoire démocratique chaque fois qu’une leçon fondamentale peut en être tirée pour les sociétés espagnole et française d’aujourd’hui. Les idées, qu’elles soient politiques ou religieuses, ne peuvent être combattues par la violence mais elles ne peuvent pas non plus être utilisées pour justifier la violence exercée contre ceux qui pensent différemment. Cela implique un respect démocratique envers ceux qui ne pensent pas comme nous.

En même temps, cela suppose que seules sont valables et acceptables les idées qui respectent les autres et ne cherchent pas à imposer mais à dialoguer, avec la conscience que la Vérité absolue n’existe pas.

L’avenir doit être construit à partir de la confrontation de différentes positions exposées en toute liberté, dans le respect, la tolérance et avec empathie, avec l’objectif de rechercher un consensus et, lorsque cela n’est pas possible, à travers la résolution démocratique des conflits.

Sixième réflexion

Il s’avère que l’Église catholique n’a pas pu (ou n’a pas voulu) développer sa propre Mémoire démocratique. En fait, elle ne tire aucune leçon de sa Mémoire historique et n’a pas pu, à partir de ces expériences, mener un processus d’analyse critique et d’approfondissement aboutissant à une conscience démocratique utile pour vivre et se fondre dans une société qui, avec des limitations, prétend l’être.

Septième réflexion

Par conséquent, la Mémoire démocratique, en tant que conscience citoyenne commune d’une société déterminée, doit veiller à respecter la pluralité de ses membres.

Toutefois il faut ajouter une précision : la coexistence respectueuse des diverses options politiques, religieuses, sociales et morales n’est acceptable que si elles ne prônent pas l’exclusion ou ne tentent pas d’imposer à tous leurs valeurs et principes par des moyens violents ou coercitifs.

Huitième réflexion

À partir de la Mémoire démocratique, qui doit nécessairement être laïque, il est nécessaire d’analyser et d’aborder la question de la séparation authentique entre l’État et l’Église en Espagne. C’est pourquoi cet atelier propose que, lors des prochaines Rencontres qui se tiendront en France, un groupe de travail soit consacré à cette question si fondamentale pour garantir le développement d’une démocratie pleine et entière.

1 réflexion sur “ÉGLISE CATHOLIQUE ET MÉMOIRE – RENCONTRES TRANSFRONTALIÈRES DE LOGROÑO – 2004”

  1. DURAND JEAN-PAUL

    Ces huit réflexions posent très clairement le cadre, la problématique. Elles devraient permettre une avancée dans la connaissance, établir au plus proche la vérité des faits. Pour ensuite dégager des pistes d’approfondissement- sinon consensuelles, en tout cas sereines.
    Jean Paul Durand

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